Au cours d’un discours devant le Parlement éthiopien le 13 octobre dernier, le Premier ministre Abiy Ahmed faisait de l’accès à la mer une “question existentielle”, renouant avec la rhétorique de l’Empire éthiopien et de ses guerriers abyssins qui, déjà au 19e siècle, qualifiaient la mer Rouge de ‘frontière naturelle de l’Éthiopie”. Privé de débouché maritime depuis l’indépendance de l’Érythrée en 1993, le géant de la Corne de l’Afrique a frappé un grand coup le 1er janvier dernier. Ce jour-là, Abiy Ahmed invite le président du Somaliland Muse Bihi Abdi à Addis-Abeba. Lors d’une conférence de presse commune, les deux hommes annoncent que l’Éthiopie devient le deuxième État après la Chine à reconnaître officiellement l’existence du Somaliland, en échange de quoi elle pourra développer ses activités sur le littoral de son nouvel allié.
Si les deux parties sortent gagnantes de l’accord, il déplaît fortement à la Somalie, qui rêve de reprendre le contrôle sur le Somaliland et rappelle immédiatement son ambassadeur en Éthiopie. La manœuvre témoigne des ambitions d’AbIy Ahmed, qui n’hésite pas à prendre le risque de déstabiliser la région pour faire valoir ses intérêts et resserrer les rangs d’une nation ensanglantée par de multiples guerres ethniques. Depuis son arrivée au pouvoir en avril 2018, Abiy Ahmed, désigné prix Nobel de la Paix 2019, doit composer avec des conflits autonomistes sanglants qui menacent l’autorité de l’État central éthiopien.
L’accord entre le Somaliland et l’Éthiopie peut-il déstabiliser la Corne de l’Afrique ? Au-delà de ce seul accord, quelle place Abiy Ahmed tente-t-il de donner à l’Éthiopie sur la scène régionale ? Et enfin, ces manœuvres de politique extérieure peuvent-elles l’aider à résoudre les conflits intérieurs qui fracturent l’Éthiopie, ou du moins les occulter ?
Focus - Le barrage de la Renaissance : levier d’influence régionale d’Addis-Abeba
Avec Leila Oulkebous, doctorante, chargée d’enseignement ATER à l’université Bordeaux Montaigne et chercheuse au Laboratoire les Afriques dans le Monde (LAM)
Contrairement au discours conciliant de son ministre des Affaires étrangères, l'Éthiopie est dans les faits depuis 2010 offensive lorsqu’il s’agit de défendre son droit à disposer des eaux du Nil qui prend sa source sur son territoire dans le lac Tana. Désireuse de devenir un hydro-hégémon, elle lance en 2011 le grand barrage de la Renaissance, projet pharaonique qui cristallise les tensions avec le Soudan et l’Égypte.
Références bibliographiques
Mehdi Labzaé a contribué au dernier numéro de la revue Politique africaine intitulé Conflits armés dans la Corne de l'Afrique, 2024
Leïla Oulkebous a contribué à l'ouvrage collectif Les grands conflits contemporains : approche géopolitique paru aux éditions Armand Colin/Dunod le 15 mai 2024
Références sonores
Muse Bihi Abdi, président somalilandais, et Abiy Ahmed, Premier ministre éthiopien, détaillent le contenu de l’accord passé avec l’Éthiopie - France 24
Le président somalien Hassan Cheikh Mohamoud dit que son peuple est prêt à mourir pour défendre sa souveraineté territoriale - Africa 24
Une manifestation contre l’accord entre l'Éthiopie et le Somaliland à Mogadiscio - Voice of Africa
Le dialogue national en cours en Éthiopie - Africa 24
Demeke Mekonnen Hassen, ministre éthiopien des Affaires étrangères, au sujet du Grand Barrage de la Renaissance - Africa 24 - décembre 2023
Références musicales
Bisrat Surafel - Erefi (2023)