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Souleymane Bachir Diagne : "Dans 'Orphée noir', Sartre définit le privilège blanc avant l'heure"

Géraldine Mosna-Savoye
Diffusé le vendredi, 18 octobre 2024 (60 min)


Sartre est-il l'un des premiers penseurs à appeler au décentrement de l'Europe ou échoue-t-il au contraire à promouvoir un véritable universalisme ? On en discute avec le philosophe Souleymane Bachir Diagne, qui chemine avec le texte "Orphée noir" de Jean-Paul Sartre depuis l'adolescence.


Souleymane Bachir Diagne Philosophe, professeur de philosophie française et africaine à l’Université de Columbia, directeur de l’Institut d’Études africaines



   
Provient de l'émission
Le Souffle de la pensée

Au programme
  • Vers l'âge de 15 ans, le philosophe Souleymane Bachir Diagne découvre les textes de Jean-Paul Sartre dans la bibliothèque de son père. Quelques années plus tard, en classe de Terminale, il tombe sur "Orphée noir", préface de Sartre à l'anthologie de poésie de Léopold Sédar Senghor qui transforme le recueil en véritable "manifeste politique et philosophique", et qui fait "du mouvement de la négritude un chapitre de l'existentialisme".

    Décentrer l'Europe

    Dans ce texte, Sartre explique que le mouvement poétique de la négritude est une manière de retourner le regard chosifiant qui avait été posé par le monde blanc sur le monde noir.

    " L'Europe avait pris l'habitude de regarder le reste du monde, et voici que ces poètes noirs décident de ne plus être les objets du regard, mais d'en être les sujets. Ils retournent ainsi ce que Sartre appelle 'le saisissement d'être vu'. C'est une manière aussi de décentrer l'Europe et d'en faire une province du monde comme une autre - thématique très actuelle et qu'on retrouve dans les théories critiques de la race contemporaines. "

    Quel universalisme ?

    Or Sartre assimile également dans cette préface la négritude à un "racisme antiraciste" voué à être dépassé pour atteindre une société marxiste post-raciale. "Ceci pose un problème, affirme Souleymane Bachir Diagne, et les poètes de la négritude préciseront bien que leur mouvement ne bascule à aucun moment dans le racisme." 
    C'est ce que soulignera Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs, ou Aimé Césaire qui, en démissionnant avec fracas du Parti communiste français, soutiendra que le fraternalisme communiste ne vaut pas mieux que le paternalisme colonialiste. Autant de réactions qui remettent en cause l'européanocentrisme auquel revient Sartre à la fin de son texte "Orphée noir", puisque l'universalisme qu'il appelle de ses vœux est foncièrement en surplomb par rapport aux autres cultures. Souleymane Bachir Diagne s'inscrit dans le sillon de ces critiques, car il milite pour un universalisme latéral, horizontal, qui mêle identité et ouverture, et qui ne fait pas de nos identités des identitarismes.

    "Hume est le philosophe du suprémacisme blanc"

    Souleymane Bachir Diagne déteste le philosophe anglais David Hume, qui affirme dans une note de bas de page que seul le peuple blanc mérite d'être considéré comme une civilisation. "Quand on est Noir, on ne lit pas les textes philosophiques de la même manière que ses collèges blancs. On est toujours confronté au fait que cette discipline, qui est celle de l'universalisme par excellence, est aussi celle d'un universel qui vous exclut."

    Extraits sonores :

    • Archive d'une discussion publique avec Jean Paul Sartre à la Sorbonne, juin 1968
    • Lecture par Nicolas Berger d'un extrait d'“Orphée noir”, préface de Jean-Paul Sartre à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française de Léopold Sédar Senghor, PUF, 1948
    • Archive de Léopold Sédar Senghor du 23 mai 1977, “Les grands contemporains”, France Culture
    • Archive de George Steiner du 4 avril 2012, “Hors champs”, France Culture
    • On s'aime pas, chanson d'Alain Souchon
Illustration
Le Souffle de la pensée
Photographie
  • C. Abramowitz
Copyright
  • Radio France
Collection

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